Nephilim Légende : la sortie de stase

Nephilim Légende : la sortie de stase

Un témoignage, dans lequel bon nombre de fans de la première heure devraient se retrouver…

A consommer sans modération !

Ecrit par Cédric Ferrand le 13/06/201

corbacs

Tu es en 1992. Les adultes ne parlent que du traité de Maastricht. Quand tes parents causent politique, c’est pour fustiger Henri Krasucki ou Pierre Bérégovoy. Au lycée, tout le monde parle des JO d’Albertville. C’est une période qui envoie du rêve : procès du sang contaminé, fermeture de la Cinq, non-lieu pour Paul Touvier, effondrement de la tribune de Furiani… Bizarrement, t’as besoin d’ailleurs.

Le club de jeu de rôles te permet justement d’utiliser cette zone de ton cerveau que l’école ne stimule pas. AD&D, Shadowrun, Warhammer, Bloodlust… Chaque MJ du club a SON jeu, un truc bien à lui qui le définit aux yeux des autres. Untel, c’est le MJ de Runequest, y’a que lui qui a le droit de lire les bouquins, il ne viendrait à l’idée de personne d’autres d’acheter la boite de base ou de prétendre vouloir en maîtriser les codes. Toi, par exemple, tu étais le MJ de Paranoïa et de Hurlements, c’était ta chasse gardée. C’était des jeux géniaux, mais pas… totaux. Le MJ de Vampire, il était le dépositaire d’un univers-jeu. Un truc encyclopédique. Un monde en soi. Et toi, tu es à la recherche de ce qui sera ton étiquette rôliste, le jeu qui va te structurer. Et tu donnes sa chance à un livre de base, pas à une gamme déjà bien établie. Le jeu vient de sortir, tu sais pas trop de quoi ça parle, mais la critique dans Casus t’a convaincu : Nephilim ça sera. Un des adultes du club qui fait ses études à Lyon en semaine se charge de l’acheter et de te le rapporter dans ta petite sous-préfecture.

Et boudiou, le livre est compliqué, de prime abord. Il cite des groupes de musique que tu ne connais pas. Toi, t’es du genre Jean-Jacques Goldman ou Synthétiseur volume 1d6. Mais bon, t’essayes. 666 d’Aphrodite’s Child ? Pourquoi pas. Bon, tu galères à trouver du Field of the Nephilim à la bibliothèque municipale. Mais quand sous le préau du lycée, tu demandes timidement à des mecs qui écoutent du Clan of Xymox dès le petit-déjeuner s’ils pourraient te faire écouter du Dead Can Dance, les gonzes te regardent autrement. Ils commencent à te filer des K7 avec écrit This Mortal Coil dessus. C’est… différent. Mais punaise, ça colle parfaitement à ton état d’esprit adolescent. Plus que le sega et le maloya que ton père écoute. Et ce n’est pas que la musique : le jeu cite un certain Umberto Eco, alors tu t’y essayes. Tu t’arraches les cheveux sur les citations non traduites du Nom de la rose, mais t’es harponné par ce roublard de turinois.

Mais le jeu en lui-même ? Génial. On y incarne des immortels qui font de la magie et qui luttent contre des Templiers qui ont des épées maudites. C’est Highlander. C’est Indiana Jones. C’est… compliqué à expliquer aux autres joueurs. Forcément, tu as du mal à leur faire comprendre que leur personnage est en quête intemporelle de Sapience pour atteindre une sorte d’illumination intérieure. Ce ne sont pas de mauvais bougre, mais quand tu leur proposes de jouer, le premier PJ qui est créé, c’est un Pyrim incarné dans un ninja. Ils jouent à Nephilim comme ils jouent aux autres jeux : pour se défouler. Toi, le jeu te montre autre chose, il t’incite à lire des bouquins sur l’alchimie, la kabbale, les cathares et tout un tas de sujets connexes, mais tu peines à transmettre cette passion qui t’anime. Ils te déçoivent. Tu te déçois. Il te faudra longtemps avant d’arriver à trouver des joueurs réceptifs à cette ambiance occulte. Car malgré tes échecs à répétition, tu suis fidèlement la gamme. Tu lis chaque supplément avec délectation. Chaque bouquin t’amène ailleurs et t’intéresse à des sujets variés. D’ailleurs, ça teinte ta culture générale de drôles d’accent. Tu sais des choses que tes comparses lycéens n’auraient pas idée d’apprendre. Tu connais le fonctionnent d’un astrolabe. Tu peux citer le nom des Sephirot. Tu sais faire la différence entre un bogomile et un nestorien. Et oui, c’est pas ça qui t’aide à draguer, c’est sûr.

Tu finiras par maîtriser le Souffle du Dragon, la campagne mythique qui se déroule en Bretagne. Des étoiles dans les yeux. Des situations variées, une chouette ambiance occulte de terroir, du mythe arthurien… Une fierté. Et à la veille de quitter ta petite ville de province, tu maîtriseras aussi Selenim, l’encore plus mythique campagne signée d’un certain… Tristan Lhomme. Ça sera plus qu’une campagne, pour toi, ça sera un rite de passage. En les embarquant dans cette histoire étrange, tu démontreras à tes collègues que tu es prêt pour l’étape suivante de ta vie (la fac, la grande ville et tout ce qui va avec).

Évidemment, l’université, c’est le moment de la seconde édition. Là, fini les bourrins qui veulent uniquement cartonner du Templier au fusil à pompe, tu te retrouves avec des gens épris de beau jeu. Tu refais jouer les campagnes classiques (tu finis même par partir en vacances en Bretagne pour visiter un à un les lieux du Souffle), tu t’en donnes à cœur joie. Tu as même internet, alors tu t’inscris à la mailing list Yahoo du jeu. Les auteurs sont à portée de clic. Tu trouves des tas de fans comme toi qui ont été marqués par ce jeu. Vous échangez. Vous finissez chacun de vos courriels par « In Agartha Credo ». La légende veut même que votre ML soit très vaguement surveillée par les RG tant vos échanges sont parsemés de mots-clés qui font réagir les systèmes de surveillance. Tu as tout les suppléments parus. Tu obtiens même une dédicace de Tristan Lhomme (sans arriver à trouver le courage de lui adresser la parole). Tu publies une nouvelle dans Vision-Ka, le fanzine officiel. Tu joues alors tellement à Nephilim que tu t’en dégoûtes. Il faut dire que les suppléments s’empilent, se contredisent, deviennent bavards, pompeux… La passion du début n’est plus là. Tu aimais l’occultisme campagnard et historique, tu te retrouves avec des histoires de thriller international. Les Templiers ont des ogives nucléaires. Le chômage te prend en traître : tu dois revendre ta collection complète pour vivoter. Oui, même tes exemplaires dédicacés.

La 3e édition pointe son nez, mais ce n’est pas ton truc. C’est beau, mais elle te prend à contre-pied. Les Arkaïms insultent le puriste de la première heure que tu es. Pourtant, tu comprends leur existence : le background du jeu est devenu si compliqué avec le temps qu’ils forment un moyen fun et léger d’entrer dans la danse. Mais non, pour toi, Nephilim, ça se mérite. Fallait être là au début. La 4e édition ? Pouah, même pas en rêve. T’as tournée la page.

Le temps passe. T’y a repensé, de temps à autre, à ce jeu, à ce qu’il t’a apporté intellectuellement. Oui, oui, intellectuellement, le mot n’est pas trop fort. Certes, c’est qu’un jeu, mais il a été une bonne excuse pour t’intéresser à plein de choses. Le nombre de fois où tu t’es promené dans des musées avec comme justification « Ouais, non, mais c’est juste pour trouver des idées de stase ». T’as encore une copie du guide Michelin de la Bretagne que tes joueurs ont utilisé en vrai autour de la table pendant le Souffle. Tu maîtrisais avec un tarot, à l’époque, genre minimaliste et tout.

Et paf, voilà-t-y pas qu’une 5e édition voit le jour ? Un de ces financements participatifs qui s’envole et où le palier de base est obtenu en une heure. Fini l’édition complète avec des suppléments à tiroir sur le fils du retour du rose+croix qui était en fait un myste qui se faisait passer pour un Archaïm. Non, retour aux essentiels : des Templiers, des mystères locaux, de l’occultisme. C’est un reboot. Des bouquins qui parlent d’ésotérisme mais qui ne le sont pas, eux, ésotériques. Toi, tu as déjà connu tout ça. Mais les autres, ceux qui ont toujours été intimidés par le volume pantagruélique de la seconde édition et qui n’ont pas connu la joie simple d’invoquer des créatures de kabbale et de distiller une potion alchimique en radotant sur le bon vieux temps (ah, ça, les conquistadors, ils savaient y faire, eux, je peux vous le dire, j’y étais…). Eux vont pouvoir y goûter à leur tour. Les chanceux. Mais pas que : si le financement participatif assure une certaine manne aux auteurs, ils vont pouvoir continuer à faire vivre la gamme à l’avenir. Car ils ont encore des idées sous le capot. L’Histoire invisible est riche de possibilité. Bref, c’est pas juste la nostalgie qui parle, c’est la volonté de repartir sur de bonnes bases.

Nephilim Légende sur Ulule

Et d’ailleurs, nous allons sous peu poser des questions à Fabrice Lamidey, l’un des co-créateurs du jeu. Aussi, si vous avez des questions à lui adresser, n’hésitez pas à laisser un commentaire.

 

Source : http://hu-mu.blogspot.fr (le site de Cédric Ferrand).

 

4 Responses »

  1. J’avoue que pour pas mal de choses je m’y suis retrouvé, c’est rassurant de savoir qu’on est pas le seul à avoir eu ce ressenti. 🙂

    Une autre chose qui me vient à l’esprit (et dont je ne sais pas trop où en parler) : vous aviez sorti en 2013 le roman de Grégory Poussier “Les Limons du Temps” qui est malheureusement introuvable en édition papier aujourd’hui. Pensez-vous qu’avec le CF en ce moment il serait possible de le rééditer ?

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